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En octobre 2022, en un laps de temps
très court, on a assisté à une synchronicité de divers actes de désobéissance
civile de la part d’activistes écologistes, actes qui ont été appréciés très
différemment selon les orientations politiques. Certains militants ont jeté des
légumes sur des tableaux de grands maîtres, notamment Les Tournesols de
Van Gogh ou La jeune fille à la perle de Vermeer. Je précise que ces
tableaux étaient recouverts d’une vitre et qu’ils n’ont donc pas été
endommagés. C’était juste pour attirer l’attention. Le directeur de la
rédaction du Figaro, Guillaume Roquette, dans un éditorial sur France Inter
déclare : « Quel est le niveau mental de ces jeunes gens pour
imaginer qu’il provoque autre chose que de l’exaspération avec ces happenings à
deux balles ? ». En revanche, Clément Sénéchal, porte-parole de
Greenpeace, dit : « Ce sont des actions que nous cautionnons. Ce mode
d’action a amené de nombreux progrès au genre humain à travers
l’histoire ».
Il y a eu aussi des actions menées
contre les projets de méga-bassines, notamment dans les Deux-Sèvres, actions
que notre ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a qualifiées
d’éco-terrorisme, laquelle expression a été considérée comme une
« insulte » par Clémentine Autain, députée de la France insoumise.
Bien évidemment, les positions des uns et des autres sont conditionnées par
leur vision de la situation. Pour les activistes écologistes, la situation est
gravissime, l’action gouvernementale et collective très insuffisante, et on a
beau alerter, rien n’y fait. Par exemple, Antonio Guterres, directeur de l’ONU,
a dit : « Nous sommes sur une autoroute vers l’enfer climatique,
avec le pied toujours sur l’accélérateur ». Il faut se mettre dans la peau
des jeunes gens qui entendent ça. La désobéissance civile est la suite logique,
la conséquence du désespoir. Clément Sénéchal affirme que cette désobéissance
civile peut nous empêcher de « dévaler une pente suicidaire ». À Munich,
des scientifiques sont intervenus au salon BMW et ont été arrêtés. Suite à
cela, plus de 1200 scientifiques ont signé une tribune de soutien
intitulée : « Ne nous trompons pas de coupables ». Elle est très
explicite : « Désespérés devant l’inertie, voire l’indifférence
générale, ces scientifiques ont décidé d’alerter le monde par une action
symbolique non-violente et non-destructrice. Aujourd’hui, ils sont en prison à
Munich. »
C’est une sorte
d’injonction paradoxale. Si quelqu’un cherche à convaincre, on ne l’écoute pas
et quand il agit, on lui reproche de n’avoir pas su convaincre.
Pour les opposants à cette
désobéissance civile, ces actions sont un aveu d’échec. Guillaume Roquette, que
j’ai déjà cité, dit : « Il est beaucoup plus facile de se prendre
pour un résistant en balançant de la sauce tomate dans un musée subventionné
que de convaincre ses contemporains. » Ces propos donnent la mesure du
décalage. C’est une sorte d’injonction paradoxale. Si quelqu’un cherche à
convaincre, on ne l’écoute pas et quand il agit, on lui reproche de n’avoir pas
su convaincre.
En fait, quand il y a immobilisme face
à un problème grave, l’enchaînement des événements est très prévisible. Ça se
passe en trois phases. Première phase : celle des discussions rationnelles,
des débats, des rapports, comme ceux du GIEC. Deuxième phase, dans laquelle
nous entrons : celle de la désobéissance civile « gentille »,
relativement non-violente. Et la troisième phase, si rien ne bouge, c’est le
passage à des formes de violence de plus en plus aiguës.
Le potentiel de violence est, en fait,
très élevé. La première violence, si j’ose dire, c’est celle du réchauffement
climatique, sous la forme d’inondation, d’incendie, de sécheresse, de maladie.
Bien sûr, il n’y a pas d’intention violente dans le climat mais il n’empêche
que le dérèglement climatique tue des gens, anéantit leur activité économique,
détruit leur habitation, les condamne à l’exil. Et ces drames vont augmenter. Ensuite,
il y a la violence entre êtres humains.
D’abord, celle de ceux qui résistent
au changement, qui ne veulent pas que ça bouge. Une violence qui demeure
potentielle, car ça ne bouge pas, mais qui se déclencherait si on prenait des
mesures. La violence des utilisateurs de voiture si on imposait une taxe
carbone, la violence des producteurs et des consommateurs de viande si on en
réduisait la production ou si on en augmentait le prix, etc. Il s’agit d’une
violence qui se présenterait comme une légitime défense à la
« violence » que leur feraient subir les mesures écologiques. Et
ensuite, il y a la violence potentielle des activistes écologistes eux-mêmes,
qui se manifeste aujourd’hui par une désobéissance civile plus ou moins bon
enfant, mais qui pourrait dégénérer.
Pour récapituler : du fait du
réchauffement climatique, la « violence » de mère nature va
augmenter. Et face à cela, si on prend des mesures, on devra affronter la
résistance de ceux qui y sont hostiles. Et si on ne fait rien, on devra prendre
acte de la violence de ceux qui voudraient désespérément que ça bouge.